Quand on nous parle d’économie dans le poste de télé ou de radio et dans la plupart des journaux, on est souvent en droit de se demander si on ne nous prend pas pour des imbéciles. Ainsi faut-il faire un sort à deux sortes de tartes à la crème largement distribuées depuis des mois : l’Euro qui nous protège et la moralisation en marche du capitalisme.
Les informations qui concernent la situation de la Grèce ainsi que le récent discours de notre Président à Davos arrivent ainsi à point nommé. Avant de débuter, qu’on me permette tout de même de conseiller le lecteur, s’il souhaite s’informer au mieux de la situation financière grecque, de se rendre sur le blog de mon ami Laurent Pinsolle ou de lire l’analyse de Jacques Sapir sur Marianne2 plutôt que d’écouter le sketch d’hier au soir de l’ami Aphatie dans le Grand Journal. On me dit parfois que j’ai du mal à changer de cibles. Mais cette semaine, il exagère vraiment le Jean-Michel !
Depuis des années, donc, on nous dit, on nous répète -que dis-je ?-, on nous serine à l’envi, que l’Euro est un bouclier, qu’il nous protège des crises en tout genre. Les zélateurs de la monnaie unique ne nous ont encore pas annoncé qu’elle nous protégeait de la malaria, du paludisme, du SIDA, des tsunamis et autres tremblements de terre, mais on n’en est plus guère éloigné. Ils ont ainsi atteint le Nirvana quand, enfin, le cas de l’Islande au bord de la banqueroute leur donnait enfin un exemple d’un pays malheureux de ne pas faire partie de notre Euro et tambourinant à la porte de notre Zone bénie des Dieux afin d’être protégée aussi bien que nous le sommes. Il nous protège de quoi, au fait, l’Euro ? De la récession ? Des délocalisations ? D’un déficit de la balance commerciale ? Au contraire. De la spéculation sur la monnaie ! Oui, c’est cela. Les spéculateurs (banques, hedge funds) ne peuvent plus jouer avec nos monnaies nationales, petites et si faibles. L’Euro nous protège des spéculateurs qui, autrefois attaquaient le Franc comme à l’été 1993, ou la monnaie islandaise il y a quelques mois. Sauf que ceux-ci ont trouvé le moyen de spéculer sur la dette des pays plutôt que de leurs monnaies nationales aujourd’hui disparues. Sont malins, les spéculateurs, non ? Donc, l’Euro ne nous protège même pas de la spéculation. Les autres pays ont été solidaires hier, me rétorquera t-on. Tu parles, Charles : en échange d’une cure d’austérité, que les Grecs vont sentir passer, et qui ne suffira pas à calmer la spéculation, laquelle recommencera tôt ou tard à moins qu’elle ne se reporte sur la dette italienne, espagnole, portugaise ou… française.
Les spéculateurs, ceux qui font des bénéfs sur tout et n’importe quoi, les entreprises, les monnaies, les matières premières ou la dette des Etats, il en fut beaucoup question dans le discours du Président de la République à Davos. Il faut moraliser le capitalisme, la mondialisation, a répété Nicolas Sarkozy devant un auditoire médusé. Comme le discours a certainement été écrit par Henri Guaino, on pouvait y retrouver des accents de Philippe Séguin contre le Munich Social il y a dix-sept ans. Mais du discours aux actes… Guaino écrit mais quand il faut décider, c’est Minc qu’on écoute. Comme d’habitude. Pour une fois, laissons lui le bénéfice du doute, m’implorera t-on. D’accord ! Laissons nous faire quelques minutes. Moi aussi, je voudrais bien qu’on moralise le capitalisme et qu’on privilégie l’économie réelle.
Par exemple, il y a quelque chose qui m’a toujours choqué, c’est la spéculation à la baisse. Lorsque j’étais au lycée et que je commençais à m’intéresser à l’économie -c’était en 1986-7, juste avant le Krach boursier.- j’avais posé une question à mon père qui était dans la partie puisqu’il devait animer des clubs d’investissement (une grosse mode de l’époque) dans le cadre de son travail dans une banque. Les clubs d’investissement, c’était des clubs de boursicoteurs, pour l’essentiel, qui se réunissaient pour faire des coups en bourse de manière collective. Cela m’intéressait beaucoup mais, un jour, j’ai appris que l’on pouvait vendre avant d’acheter et, ainsi, gagner de l’argent avec le cours d’une action qui baissait. A 16 ans, on a beaucoup de mal à comprendre qu’on puisse vendre quelque chose dont on n’a pas la possession. Et on trouve assez immoral qu’on s’enrichisse avec la baisse de la valeur d’une entreprise. Je dois bien avouer que je me trouve encore dans le même état d’esprit. Alors que je préparais ce billet, et que je m’entretenais de ce sujet avec un bon connaisseur de la chose économique de mes amis, ce dernier m’a dit tout de go :” pour s’étonner de cela et en être choqué, il faut vraiment être français et républicain ; un Américain ou un Anglais aurait répondu à ta question, sur l’utilité d’autoriser les spéculations à la baisse, la chose suivante :” pour gagner du blé, pardi !”
Nicolas Sarkozy, dans son discours si révolutionnaire à Davos a t-il appelé, dans le cadre de la moralisation du capitalisme, à interdire la spéculation à la baisse, sur les entreprises, les monnaies, ou la dette des Etats ? Logiquement, cela allait de soi, d’autant que la chose fut déjà interdite pendant de courtes périodes (à l’automne 1998, notamment, ce qui prouve que c’est possible). J’ai cherché, cherché, cherché. Et je n’ai pas trouvé. Même dans un discours soi-disant révolutionnaire écrit par Guaino, on ne trouve pas l’appel à cette mesure assez simple. Ce que j’ai lu, en revanche, c’est que Nicolas Sarkozy rappelait qu’il avait courageusement demandé la démission de Daniel Bouton à la suite de l’affaire Kerviel ! Mazette !
Mais, vraisemblablement, on continuera à se moquer du monde avec ces histoires de bouclier-euro et de moralisation. Jusqu’à ce que tout cela s’effondre comme un château de carte, ce qui ne devrait plus tarder.
David Desgouilles